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Les Carnets blancs
12 novembre 2009

Carnet n°10/100 (journal, 1989) : brûlé ; cendres dispersées lors du Prix de Diane

Texte publié sur mon blog en 2006

"J’ai repassé mon costume en lin. J’ai pris un taxi. Lou m’attendait Gare du Nord. En sortant du taxi, un garçon dans la rue m’a interpellé : "Hé ! Beau gosse !" Je tenais encore mon chapeau dans ma main. Je porte une chemise bleue et une cravate avec des rayures vertes. J’ai dans les mains un petit flacon acheté chez Habitat avec les cendres du cahier n°10. Dans mon autre main, je tiens une grosse enveloppe avec les restes du cahier n°10, ceux qui n’ont pas brûlés. On prend des billets en première pour Chantilly. Pour être élégant, j’abandonne l’enveloppe dans une poubelle de la Gare du Nord. Plusieurs femmes en chapeau arpentent la gare. Le train pour Chantilly est bondé. Même en première, il n’y a pas de places assises. On est debout. Un homme aux cheveux gris porte un pantalon avec des oiseaux bleus. On traverse un chemin dans les bois. On entre dans le Village Hermès. Il fait une chaleur écrasante. J’achète un panier en osier avec de la nourriture. Ambiance tunisienne. On traverse la piste (le Village Hermès est au centre de l’hippodrome, si bien qu’il faut traverser la piste pour atteindre les gradins). Il y a de la pelouse sur la piste, et pas de la terre battue comme je l’imaginais. Je débouche le couvercle métallique de ma fiole. Elle est transparente, de couleur verte. Je jete les cendres sur l’herbe, là où les pouliches se disputeront le Prix de Diane. A cause du vent, des pellicules de cendres se dirigent vers mes jambes. Je fais un mouvement pour ne pas tâcher mon pantalon blanc. On monte dans les gradins. On se faufile dans la "balance" (les jockeys doivent se peser avant la course). On regarde les chevaux qui se préparent. Un entraîneur nous parle de leurs veines et de leurs yeux exhorbités au sortir des courses. La première n’est pas celle du Prix de Diane. Je regarde les chevaux passer à l’endroit où j’ai déposé les cendres du cahier n°10. Entre deux courses, on peut retourner sur les pistes. Je retourne voir. Il y a une tâche grise au milieu de l’herbe verte. Je parie sur la 6ème course et sur la 7ème (celle du Prix de Diane). Je parie sur le 11, puis sur le 6. Je perds les deux fois. J’avais joué au hasard. Lou voulait que je regarde les côtes. Je ne voulais pas. Dans la tribune, j’observe une de mes voisines, la femme d’un jockey. Pendant le Prix de Diane, les muscles de son visage tremblent. A côté de nous, une belle femme noire porte un chapeau avec des plumes de paon. Les plumes sont tellement hautes qu’elle doit s’accroupir en souriant dans l’ascenseur. Il est 18 heures. Dans le Village Hermès, des oliviers ont été plantés au milieu de monticules de sable. Sur un des arbres, un homme a accroché sa cravate à une branche. Je décide de poser ma fiole sous cette cravate. On prend une photo de l’arbre, de la cravate et du flacon. Notre train a un problème technique. Le suivant est encore plus bondé qu’à l’aller. Des hommes en costume, des femmes en chapeau, transpirent, debout. Un homme défait sa chemise par le bas et la relève sur sa bedaine. Le train s’arrête. La clim ne fonctionne pas. Un anglais avec une chevalière parle tout seul. Il a le visage rouge. Des individus sont sur les voies."

Les Carnets blancs, Mathieu Simonet, Le Seuil, sortie le 11 février 2010 (J-91)


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