carnet n°15/100 (journal, 1990) : transformé en compost puis planté au pied d'un arbre
Texte publié sur mon blog en 2006
J’avais rendez-vous avec Léon à la Maison du jardinage. Dans mon sac, il y avait le cahier n°15. On a traversé le potager, la roseraie. Il m’a montré les espaces pour le compostage. Il me disait : "Je t’expliquerai tout à l’heure comment ça marche." Je lui ai demandé si mon cahier pouvait se transformer en arbre. Il m’a dit qu’il ne savait pas où partait l’engrais. Ca allait dans des légumes. Ou ailleurs. Il a réfléchi. "Sur la terrasse, on a un mini-compost. Si on y met ton cahier, et si je demande à tout le monde de faire attention, il pourra être recyclé où tu veux." Il m’a montré les vignes. J’ai imaginé mon cahier devenir vin. Il m’a montré un arbre avec un double nom : "(?) ambivalus". Léon m’a dit : "Il y a des arbres remarquables dans Paris. Je pourrai t’en montrer quelques-uns. Dans quelques mois, quand le compost sera fini, tu pourras choisir celui que tu préfères."
On est montés sur la terrasse. Le mini-compost ressemble à un tonneau à trois étages. Je me suis assis à une petite table et j’ai commencé à prendre des notes, à poser des questions. Puis on est passés aux choses sérieuses. J’ai enlevé les trombones du cahier. J’ai arraché la couverture bleue. On n’a laissé que les feuilles avec l’encre. On les a déchirées en morceaux de dix centimètres carrés. Léon a soulevé le couvercle du compost. Il y avait des feuilles vertes avec des brindilles. Sur le rebord, il y avait une limace. On a mis les morceaux du cahier n°15 dedans. Pendant qu’on parlait, Léon mélangeait avec sa main les feuilles quadrillées et les feuilles vertes. Il a liquidifié le tout. Dans les premiers jours, des areignées, des mille-pattes, des collemboles à six pattes vont destructurer les feuilles. Elles vont se briser en miettes.
Les Carnets blancs, Mathieu Simonet, Le Seuil, sortie le 11 février 2010 (J-86)